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Livres
Le Petit Champollion Guide de l’Egypte antique Denis et Philippe Valode févr. 2014
Le projet
Philippe, ancien banquier, ancien éditeur, ancien président de Grand Lyon Habitat (l’Office d’HLM du Grand Lyon) est également historien, auteur de plus de soixante livres historiques. Le Petit Champollion est son troisième ouvrage consacré à l’Egypte antique. Denis est architecte ; il dirige l’un des principaux cabinets français de la spécialité. Et conduit aujourd’hui deux grands projets à Beyrouth : la tour de la Résidence dans le quartier de la Marina et le Centre de loisirs et cinémas des souks. Grand amateur de l’art égyptien, illustrateur talentueux, il signe de son crayon les deux cent trente illustrations de l’ouvrage, mettant en images les textes de son frère. Tous deux, passionnés de civilisation égyptienne, réalisent enfin leur vieux projet de jeunesse : écrire un livre de référence (d’où cette appellation de « Petit Champollion ») sur la plus longue civilisation de l’histoire du monde, débutée vers 3100 avant J.-C. avec le mythique Ménès et les rois Scorpion et tragiquement achevée par le suicide Cléopâtre en -30. Et en tirent une leçon qui permet de comprendre son exceptionnelle durée de vie, plus de trois mille ans. Une leçon qu’ils ont découvert au fur et à mesure de leur fréquentation de cette interminable monarchie pharaonique et qu’ils veulent transmettre à tout prix au monde si désorienté du début du XXIe siècle après J.-C. Sans doute ce secret, si bien préservé au cœur des pyramides, peut ainsi s’exprimer. La force et donc l’éternité de la civilisation égyptienne tient à son incomparable spiritualité. La dimension spirituelle du pouvoir est évidente : le roi (on peut utiliser le terme de pharaon qui n’est pas un mot égyptien) est de nature divine, et peut, promettre, grâce à son intercession, la vie éternelle après la mort à tous ses sujets. Non pas la résurrection mais le salut éternel. Peu importe, dès lors, que la vie sur terre soit cruelle…
Le contenu
Le Petit Champollion s’adresse à tous : ceux qui préparent un voyage en Egypte (ce temps heureux reviendra, les auteurs en sont persuadés, tant le peuple égyptien est à la fois mature et conscient de son héritage), ceux qui s’intéressent à l’histoire des civilisations, ceux qui souhaitent connaître une Egypte dont ils se trouvent pour un temps privés, toutes les populations qui bordent la Méditerranée et qui doivent comprendre le monde qui les entoure, les étudiants en histoire bien sûr, et plus que d’autres les Libanais qui se souviennent nécessairement que Byblos fut la plus fidèle alliée des pharaons. Sans son huile d’olive, point de cuisine égyptienne, sans son bois de cèdre, point de palais et point de flotte, sans ses encens point d’hommages rendus aux dieux…
Les auteurs ont donc conçu leur ouvrage de façon à la fois pragmatique et pédagogique. Et l’ont divisé en trois parties.
La première s’intéresse aux plus grands sites archéologiques égyptiens, ceux de l’Antiquité. Car il existe bien d’autres monuments admirables en Egypte, chacun le sait, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. Ce choix a d’ailleurs lourdement contraint les auteurs qui avaient, depuis bien longtemps, constaté qu’au Caire, une seule rue ou avenue portait le nom d’un pharaon, celui de Ramsès II. Ce signal ils l’avaient parfaitement interprété. Fallait-il donc penser que les Egyptiens - à l’exception naturellement des 10 % vivant du tourisme -, n’aimaient pas (ou plus) leur glorieux passé ? Et la réponse était venue, limpide. Oui les Egyptiens n’appréciaient pas la confiscation par l’Europe et l’Amérique du Nord de leur patrimoine pharaonique ! Oui les Egyptiens n’étaient pas satisfaits de constater que sur les soixante-trois tombes découvertes dans la Vallée des Rois, aucune ne l’avait été par un archéologue local ! Oui les Egyptiens ne comprenaient pas qu’il n’existe aucun Institut de recherche national en Egyptologie au Caire! Oui le petit peuple des chameliers de Ghiza, celui de la palmeraie de Malqatta, celui du site du palais d’Aménophis II à Louqsor, celui, partout chassé des anciens cimetières antiques livrés aux archéologues étrangers, celui, enfin, systématiquement expulsé par la multiplication des champs de fouilles aux dimensionnements exagérés, se révoltait face à la dictature occidentale !
Et pourtant, il fallait bien permettre au lecteur, plus encore au visiteur, la découverte des sites et la visite des musées incontournables. Et parvenir à en choisir vingt-quatre, présentés sous forme de fiches, dont vingt et un sites et trois ensembles muséaux (le musée national et le musée égyptien du Caire, les musées de Louqsor et de la Momification). Vingt et un sites donc, retenus par les auteurs, tant en raison de leurs goûts personnels que de leur importance capitale dans l’aventure égyptienne. Les voilà présentés depuis Ghiza jusqu’à Abou Simbel, c’est-à-dire du nord vers le sud. L’objectif des auteurs n’est nullement de se substituer au guide mais bien de présenter le site et de faciliter sa visite sans manquer l’essentiel. Un peu de culture générale, quelques anecdotes distrayantes, quelques références historiques précises permettent, par ailleurs, d’en savoir plus. Ainsi, pour le site de Ghiza, décrira-t-on la fonction des pyramides, rappellera-t-on leurs mensurations précises, fera-t-on sourire à propos de la véritable histoire du nez disparu du sphinx - un bloc de roche taillée et non une construction -, désignera-t-on la plus haute des pyramides qui n’est pas celle que nos yeux distinguent de nos jours… Ainsi, descendant le Nil, visitera-t-on, successivement, Saqqara, Dachour, Meïdoum, Tel el-Amarna, Abydos, Dendera, Louqsor et Thèbes, les vallées des Rois, des Reines, des Nobles, Deir el-Bahari (sans doute la plus géniale construction du monde antique), le Ramesseum et Medinet Habou, Deir el-Médineh et les colosses de Memnon, Esna, Edfou, Kom Ombo, Assouan, Philae pour aboutir aux magnifiques temples de Ramsès II et de Néfertari à Abou Simbel dont les tunnels intérieurs sont un pur enchantement.
La seconde partie traite de l’histoire égyptienne. Elle se veut assez détaillée et les noms de près de deux cents pharaons sont cités. Ce qui est certes loin de les couvrir tous mais tout de même très imposant en rapport aux livres habituellement consacrés au sujet. Les règnes ne sont détaillés que pour moins de la moitié d’entre eux. Là encore, l’ouvrage se veut explicatif, aisé à parcourir même si il ne cherche aucunement à simplifier la complexité des pouvoirs successifs. L’étude porte tant sur le portrait psychologique du pharaon que sur le détail et les raisons de ses actions. Elle est découpée en trois grandes périodes : l’Egypte pré pharaonique depuis 6000 avant J.-C., l’Egypte des rois pharaons (l’âge classique), l’Egypte des Perses et des Ptolémées (dont chacun sait bien qu’ils sont des Grecs). Pour l’âge classique, nous avons retenu trente et une dynasties, sans modifier la césure traditionnelle entre Ancien Empire, Moyen Empire et Nouvel Empire thébain, entrecoupés des trois fameuses périodes intermédiaires. A partir de 525 avant J.-C., débute donc la Basse Epoque avec une période de résistance aux Perses avant que, pour trois siècles, ne s’affirme le brillant renouveau des Ptolémées. Très nombreux sont les pharaons dont les portraits sont représentés par Denis Valode. Les auteurs ont d’ailleurs apporté une attention particulière au choix du buste ou de la statue, désireux qu’éclate au travers du travail de l’artiste, la personnalité du roi. Certaines pages s’efforcent à la synthèse et comportent des dessins explicatifs : ainsi celle qui retrace l’évolution des pyramides (depuis celle à six degrés de Djéser jusqu’à la super pyramide à pentes lisses de Khéops), ou encore celles qui retracent les plans des plus grands temples.
Quelques figures émergent naturellement parmi les rois égyptiens comme Snéfrou, Khéops, Képhren, Mykérinos, les Montouhotep, les Antef, les Amenemhat, les Sésostris, les Aménophis, les Thoutmosis, la belle et volontaire Hatshepsout, le petit Toutankhamon (qui ne doit sa célébrité qu’à son sarcophage d’or), Horemheb, les Séthi, les Ramsès, les Psousennes, les Chechonq, les Osorkon, les indomptables pharaons noirs, les Néchao, les résistants Psammétique et Nectanebo, enfin les Ptolémées, une douzaine sans compter Cléopâtre, l’ultime.
L’ouvrage comporte enfin une troisième partie la plus développée, qui s’attache à la description de la vie des Egyptiens du Nouvel Empire (-1555 à -1069). Non sans y ajouter des précisions sur les évolutions constatées avant et après cette période d’or, lorsque cela s’avère nécessaire. Après avoir pénétré au cœur du pouvoir et de ses organes, les auteurs se sont attachés à parcourir les différentes strates sociales, bien conscients que la paysannerie constitue la grande masse des êtres humains peuplant la terre égyptienne. Enfin, ils se sont attachés à décrire la vie quotidienne de tous, naturellement différente suivant le rang social occupé. Ainsi sont détaillés par le menu, la vie militaire et le fonctionnement de l’armée en campagne, la vie économique, le logement et la construction, la vie domestique, la médecine, la vie culturelle, l’hygiène et la beauté, la vie religieuse et ses dieux, enfin, la justice et ses manifestations.
Ainsi le lecteur entre-t-il dans l’intimité de l’Egyptien de l’antiquité : il voit la femme accoucher sur les quatre pierres rituelles, l’ouvrier tirer à l’aide de cordes les blocs de calcaire de Toura destinés à la construction d’une pyramide glissant sur une couche d’argile humidifiée en permanence, le paysan battu par l’intendant parce qu’il a dissimulé une partie de la récolte de blé, le chasseur jetant son boomerang sur les oiseaux sauvages dans le delta du Nil….
Et, choix des auteurs, le livre est abondamment rempli de cartes détaillées qui facilitent la compréhension des choses. Il comporte également un petit lexique des termes d’origine égyptienne utilisés, une courte introduction à la connaissance des hiéroglyphes, ainsi que deux compléments utiles : un mémo des grandes dates de l’histoire égyptienne ainsi que des tableaux successoraux de toutes les dynasties.
La synthèse
Rappelons que l’Egypte antique s’étale, sur les deux rives du Nil, sur près de deux mille kilomètres de la 5e cataracte en Nubie à la ville d’Alexandrie, construite fort tardivement, comme son nom le laisse deviner par les Ptolémées. Et que la vie économique égyptienne est rythmée par la crue du Nil, fleuve essentiel, dont les limons permettent le développement d’une riche agriculture. Chacun doit bien assimiler qu’aujourd’hui, en raison du barrage d’Assouan, cette crue n’existe pratiquement plus. La population égyptienne est fort peu importante : sans doute deux millions d’habitants dans l’Ancien Empire, le double au Nouvel Empire. Ainsi apparaît l’ampleur du miracle égyptien : la domination par un si petit peuple d’une bonne partie du Moyen Orient pendant des millénaires.
Outre la dimension spirituelle du pouvoir, déjà soulignée, la supériorité égyptienne repose sur quelques facteurs clés de succès ainsi identifiés :
-la primauté des projets collectifs sur les projets individuels : la gestion de la crue (la production agricole est programmée parcelle par parcelle) et celle du projet funéraire du pharaon (construction de la pyramide puis de l’hypogée qui fournit du travail durant la crue),
-le statut privilégié de la femme (au moins quatre grandes reines ont régné sur l’Egypte), égale de l’homme, qui permet une mobilisation de tous les bras et de toutes les intelligences,
-l’absence d’esclaves (à l’exception des prisonniers de guerre) qui dote l’Egypte d’une population accomplie,
-la remarquable formation des scribes dominateurs qui organisent la vie des Egyptiens dans le cadre d’une société fortement structurée,
-la capacité des Egyptiens d’intégrer les peuples voisins qui viennent s’y installer : Palestiniens sémites, noirs de Nubie, éleveurs Libyens. Ainsi connaît-t-on plusieurs dynasties libyenne mais également une brillante dynastie nubienne, dite des pharaons noirs, la XXVe,
-l’or qui vient du sud égyptien et de la Nubie et sert d’étalon à toutes les opérations, bien qu’il soit réservé aux dieux (n’est-il pas leur corps même ?) et façonne leurs statues et leurs sarcophages,
- l’économie fondée sur les échanges grâce au transport fluvial en Egypte, sur le Nil, et maritime, le long de la méditerranée vers la Phénicie et la Syrie, voire même la Mésopotamie,
-une armée très professionnelle, de près de cent mille hommes sous Ramsès II et Ramsès III dont le fer de lance est la redoutable charrerie qui perce le front adverse.
Ainsi malgré l’absence de connaissances technologiques (pas de fer, pas de treuil ni de poulie), les Egyptiens ont-ils édifié les pyramides, calculé la « rondéité » de la terre, conçu que la terre tournait sur elle-même et autour du soleil, utilisé le natron pour conserver les corps de leurs dieux pharaons durant des milliers d’années.
Signe suprême de sophistication mentale et de spiritualité élevée, l’artiste égyptien ne signe jamais son œuvre, le scribe jamais son conte, son enseignement, sa légende, son récit ou sa satire. Pourquoi ? Parce que l’homme est imparfait et anonyme et que la perfection de l’œuvre d’art se suffit à elle-même…
Ainsi le projet égyptien, et l’ouvrage en atteste, est-il très pensé, très structuré, très organisé, très égalitaire, très intégrateur, très religieux, en un mot très majeur.
Cette très chère Byblos (encadré)
Dès l’Ancien Empire, les liens entre la Phénicie et l’Egypte se développent depuis la grande cité de Memphis, située à la base du delta. L’Egypte manque de bois pour ses constructions et ses navires, d’huile d’olive pour ses plats, d’encens pour honorer ses dieux… Et la Phénicie est couverte de forêts de cèdres et de pins maritimes, ses oliveraies s’étalent à perte de vue, et elle sait où quérir l’oliban, la plante à encens. Dès la IVe dynastie (-2594 à -2480 environ) et à coup sûr, durant la Ve (-2480 à -2335 environ), le commerce libano-égyptien, si, l’on ose s’exprimer ainsi de façon contemporaine, ne cesse de se développer. Et même durant les temps de décadence, comme sous Pépi II (vers -2250 ou -2 200) les flux demeurent importants.
C’est au Moyen Empire, sous Amménémès Ier (alias Amenemhat Ier), le fondateur de la XIIe dynastie, que s’intensifient les liens commerciaux avec Byblos. Ainsi que le démontre le Roman de Sinohé, écrit vers -1950, sans doute la pièce maîtresse de la littérature égyptienne. Le héros comploteur se réfugie à Byblos avant d’obtenir la clémence de Sésostris Ier, le fils d’Amenemhat Ier. C’est avec Amménémès III, le sixième pharaon de la XIIe dynastie que s’intensifient des liens désormais très étroits avec la côte phénicienne, avec Byblos, mais également avec Tyr et Saïda, ports dont les élites sont fortement égyptianisées. D’importants courants d’échanges se développent alors. Non seulement Byblos exporte ses richesses naturelles vers l’Egypte mais elle sert d’intermédiaire dans le commerce avec la Syrie-Palestine et les îles de la mer Egée. Les Sésostris, notamment le second, ouvrent l’Egypte vers l’Asie, s’appuyant sur la fidèle Byblos mais également sur d’autres cités alliées de la Syrie-Palestine. Cette époque correspond à une importante émigration asiatique vers l’Egypte. L’allégeance des rois de Byblos est encore avérée sous la XIIIe dynastie. Ils vivent comme des potentats égyptiens, édifient des obélisques, sont protégés par des garnisons militaires égyptiennes.
Toutefois, durant le seconde période intermédiaire, la dynastie Hyksos qui s’est emparée de l’Egypte, capte à son profit le commerce avec la Phénicie depuis son port d’Avaris, situé dans le delta. Memphis, conquise, entre en décadence.
Avec la dynastie thébaine, qui fonde le Nouvel Empire, les courants commerciaux reprennent. Thoutmosis III mène plusieurs campagnes militaires au Proche Orient, n’oubliant jamais de faire entrer sa flotte dans le port ami de Byblos. De même Aménophis II sait maintenir la présence militaire égyptienne à Byblos, en particulier en l’an VII de son règne (-1431). Mais la situation se dégrade à nouveau à la fin du règne d’Aménophis III. Selon les archives d’el Amarna, la capitale d’Aménophis IV (alias Akhenaton), son fils, la garnison égyptienne ne sait pas, sous son règne, protéger la fidèle Byblos contre les ambitieux Amorrites. Nous sommes alors au XIVe siècle avant J.-C., alors que s’achève la XVIIIe dynastie.
La XIXe dynastie de Ramsès II rétablit la situation : de -1276 à -1270, le puissant pharaon occupe Acre, Tyr, Saïda et bien sûr Byblos. Plus tard encore, sous la XXIe dynastie, dite tanite (-1069 à -945), le prince de Byblos, soucieux d’être payé par une Egypte en crise, rejetant la protection militaire de Thèbes, traite durement l’envoyé égyptien Ounamon venu quémander du bois de cèdre. Désormais les Phéniciens rejettent le temps de l’arrogance hégémonique égyptienne. La dynastie suivante, celle des Chechonq, dite libyenne, rétablit les liens commerciaux traditionnels avec Byblos. La statue d’Osorkon retrouvée à Byblos témoigne de l’importance des relations retissées avec l’Egypte.
Vient ensuite le temps des invasions assyriennes et perses et celui de la décadence de l’Egypte, avant qu’Alexandre ne vienne s’emparer cruellement des cités phéniciennes.
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