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Livres
Histoire de la Phénicie Josette Elayi févr. 2014
Historienne, diplômée de grec, hébreu, araméen et akkadien, Josette Elayi a enseigné aux universités de Beyrouth et Bagdad avant de poursuivre ses recherches (CNRS) au Collège de France à Paris. En 2007, elle a été faite chevalier de la Légion d’honneur pour son œuvre sur la Phénicie.
Elle entreprend dans son dernier ouvrage ce qu’aucun spécialiste des Phéniciens ne s’est jamais risqué à faire: écrire une histoire événementielle de la Phénicie. En effet, les ouvrages thématiques sur le commerce, l’industrie, la religion, l’art et l’écriture de ce peuple n’avaient présenté, jusque-là, qu’un « survol historique » de quelques pages. Fondé sur les derniers développements de la recherche, son ouvrage se caractérise par son impartialité scientifique, contrairement aux « réactions de phénico-phobie et de phénico-manie que les Phéniciens ont provoquées tour à tour de l’Antiquité à nos jours ». L’auteure explique les opinions souvent contradictoires que les contemporains des Phéniciens (Grecs et Hébreux) ont eues les concernant par la rivalité commerciale, la crainte, mais aussi par des préjugés sans fondement et par un « racisme culturel ». Elle souligne un paradoxe : le fait que ce peuple qui a inventé l’alphabet ait laissé « si peu de traces écrites ». Marins, commerçants et explorateurs, les Phéniciens étaient également réputés pour d’autres activités comme l’architecture, la teinturerie et l’artisanat, écrit-elle. Elle traite la destinée de chaque cité en respectant la chronologie. Remontant à la préhistoire, elle clôt son ouvrage en 332, date de la reddition de Tyr qui entraîne la soumission de la Phénicie à Alexandre le Grand.
La première trace locale d’écriture (à Byblos), écrit l’auteure, est datée vers 2600-2300. Entre 1200 et 883, la Phénicie jouit d’une exceptionnelle période d’indépendance. « Ce fut l’âge d’or de la Phénicie, car ensuite elle n’a plus connu de véritable période d’indépendance. A partir de 883, elle fut constamment dominée par les grandes puissances du moment et son histoire s’inscrit dans leurs histoires. Elle passe tour à tour sous la domination assyrienne de 883 à 610, puis sous la domination babylonienne de 610 à 539, enfin sous la domination perse de 539 à 332, date à laquelle on fixe traditionnellement la fin de son histoire. »
Extraits des cinq parties de l’ouvrage:
La Phénicie avant 1200
La première des cités phéniciennes à émerger fut Byblos, à l’âge du Bronze qui commence au Liban vers 3300. « Son développement, écrit Josette Elayi, est intimement lié, dès ses origines, à ce qui fera son originalité pendant la majeure partie de son histoire : une relation privilégiée avec l’Egypte dont elle a toujours été le principal fournisseur de bois, principalement le bois de cèdre. Elle lui fournit aussi les produits extraits des conifères, résine et aromes, indispensables pour les techniques égyptiennes de momification. Le temple de Baalat Gubal, déesse suprême de Byblos jusqu’au premier millénaire est alors le plus important de tout le Proche-Orient ancien et joue un rôle central entre Byblos et l’Egypte. » La première expédition égyptienne pour ramener du bois est entreprise par le pharaon Séfrou, fondateur de la IVe dynastie qui a régné vers 2543-2510. « Les pharaons égyptiens n’ont pas été les seuls à s’intéresser aux forêts du Liban. La première expédition connue de Mésopotamie jusqu'à la forêt des cèdres est celle de Sargon d’Akkad vers 2450. » Byblos subit une destruction vers 2200, mais rapidement la ville se reconstruit et devint un des foyers les plus actifs de la métallurgie du bronze. Elle tissa des liens particulièrement avec la Crète minoenne, Chypre et les autres cités-Etats comme Ugarit. La découverte de la nécropole royale de Byblos, en particulier la tombe du roi Abishemu Ier qui régnait vers 1800 révèle la richesse dont jouit à l’époque où les élites de la cité sont très influencées par l’Egypte.
Les autres principales cités proto-phéniciennes sont Sidon, « qui se développe surtout à partir de 1750 », Tyr, Arwad et Ugarit dont le royaume disparaît vers 1200. « Tous les petits Etats du Proche-Orient sont pris en étau par les grandes puissances qui s’affrontent sur leur territoire : l’Egypte, le Mitanni et les puissances émergentes hittite et assyro-babylonienne. Ils sont vassaux de l’Egypte depuis que Thoutmosis III a triomphé du Mitanni vers 1437 », et doivent verser un tribut aux représentants du pharaon. A dater du règne d’Akhenaton, la puissance de l’Egypte commence à décliner et le royaume hittite étend sa frontière méridionale jusqu’au Liban. Le roi de Byblos, Rib-Hadda, qui règne vers 1360-1330 écrit alors au pharaon pour implorer son aide mais ce denier reste sourd à ses appels. Entre temps Tyr était devenue vers 1350 une cité au territoire étendu et riche, ce qui provoqua la convoitise du roi de Sidon et un conflit entre les deux royaumes.
Ne pouvant tolérer l’avancée de l’Empire hittite en Phénicie, les premiers pharaons de la XIXème dynastie commencent peu à peu à réagir. En 1274 a lieu la fameuse bataille de Qadesh entre Ramsès II et le roi hittite Muwattali II. Puis, en 1258, les deux souverains décident de mettre fin à leur conflit. Conformément au traité conclus entre eux, la frontière entre l’Egypte et l’Empire hittite passe au nord de Byblos jusqu'à Damas et les cités phéniciennes à l’exception d’Arwad et d’Ugarit restent dans l’orbite de l’Egypte.
La période d’indépendance de la Phénicie (1200-883)
Le passage de l’âge du bronze à l’âge du fer en 1200 coïncide avec l’invasion des peuples de la mer. Ugarit fut anéantie. Mais les autres cités phéniciennes réussirent à acquérir une certaine indépendance à la faveur de deux développements : la fin soudaine de l’Empire hittite et la décadence du Nouvel Empire égyptien amorcée dès le règne de Ramsès III. Le récit égyptien des mésaventures d’Ounamon, un envoyé du temple d'Amon, venu chercher du bois à Byblos vers la même période, montre que le roi de cette cité, Zakarbaal, se comporte de façon arrogante face à un représentant des anciens maîtres de sa cité, dont il n'a aucune crainte. C’est vers cette époque que la Phénicie acquiert sa véritable identité et que les Phéniciens « inventent » l’alphabet. Leurs rois ne semblent jamais disposer d’un pouvoir absolu ce qui a conduit d’aucuns à leur attribuer aussi « l’invention » de la démocratie. Quant au nouveau conquérant de l'Est, le roi d'Assyrie, il ne fait qu'une incursion sans lendemain (Expédition de Tiglath-Phalasar Ier à Arwad en 1100 av. J.-C.). Jusqu'au milieu du IXe siècle, les cités phéniciennes profitèrent de cette liberté pour accroître leurs échanges et jouirent d’une période de prospérité.
Aux XIIe et XIe siècles, Sidon est la principale cité phénicienne. Entre 1000 et 900, Byblos voit se succéder deux dynasties dont celle d’Ahiram connu par son fameux sarcophage exposé au Musée national de Beyrouth. A la même époque le roi de Tyr, Hiram Ier (qui règne vers 970-936), conclut une alliance avec David et son fils Salomon à qui il fournit une assistance pour construire son palais et le temple de Jérusalem. D’après la Bible, les deux rois organisent ensemble des expéditions jusqu'à Ophir en Afrique. Et Salomon a sans doute participé à l’expédition du roi Hiram Ier jusqu'à Tarshish, au sud de l’Espagne.
Cette période voit aussi l’expansion phénicienne en Méditerranée. Après des phases d’échanges puis d’influence culturelle dans les sites-étapes, cette expansion se caractérise par la fondation d’établissements permanents dont Kition, l’actuelle Larnaka à Chypre, parait être le plus ancien. Il est suivi de Gadès (Cadix) et d’Utique. La Sardaigne et le sud de l’Espagne jouent un rôle capital dans cette expansion en raison de leurs riches gisements de minerais. « Les distances parcourues par les navires phéniciens sont parfois considérables, ce qui suppose un haut niveau technologique », précise Josette Elayi. C’étaient aussi des explorateurs et vers 600, ils effectuent par exemple une circumnavigation autour de l’Afrique pour le compte du pharaon Néchao II.
La Phénicie sous la domination assyrienne (883-610)
L’arrivée au pouvoir du nouveau roi d’Assyrie, Assurnarsipal II, en 883, marque un profond changement. Faisant régner la terreur, il contraint les cités phéniciennes à lui envoyer leurs tributs en signe de soumission. Ceux-ci devinrent de plus en plus lourds : bois de cèdre, métaux précieux, objets en ivoire, tissus de pourpre, etc. La plus puissante de ces cités est alors Tyr dont le roi Ittobal Ier règne aussi à Sidon. C’est sous le règne de Pygmalion que sa sœur, Elissa, fonde Carthage vers 814.
Les successeurs d’Assurnarsipal tentent avec obstination de conquérir les Etats côtiers de la Méditerranée, se heurtant à plusieurs reprises à leurs coalitions. Durant une brève période, les troubles que connait l’Assyrie laissent un répit à la Phénicie. Mais Tiglath-Phalazar III (745-721) conquiert la majeure partie de la région. Les cités phéniciennes préservèrent toutefois leur souveraineté et une certaine autonomie dans la gestion de leurs activités commerciales. Elles continuèrent d’être dirigées par leurs rois locaux, ce qui n’empêcha pas les révoltes d’Arwad et de Tyr. Ses successeurs Sargonides (721-610) poursuivent son œuvre. Sargon II entreprend le blocus de Tyr et Sennachérib soumet la cité en 701. « Le double royaume de Tyr et de Sidon disparaît alors complètement », et on assiste au déclin de Tyr et à la renaissance de Sidon.
Sous le règne d’Assurbanipal les cités phéniciennes tributaires sont soumises à des contraintes supplémentaires. Elles doivent notamment, écrit l’auteure, « joindre leurs forces armées à l’expédition assyrienne contre l’Egypte, et leurs flottes sont réquisitionnées lorsque le roi assyrien en a besoin ». Cependant poursuit-elle « elles possèdent des atouts essentiels qui imposent de les ménager. Leurs flottes représentaient la base de la puissance navale nécessaire à un empire devenu maritime Les sites côtiers phéniciens sont des positions stratégiques incontournables sur la route de l’Égypte et pour le contrôle de Chypre et leur prospérité économique constitue une abondante source de profits, indispensable au bon fonctionnement du système impérialo-tributaire. La politique des rois assyriens ne consiste pas à s’approprier directement ces atouts, mais à laisser les cités phéniciennes les gérer au mieux de leurs intérêts, sachant qu’ils en récolteront de cette manière les meilleurs bénéfices ». A partir de 644, durant les dernières années précédant l’effondrement de l’Empire assyrien, les cités phénicienne retrouvent leur indépendance qu’elles vont conserver jusqu'à la fin du règne de Nabopalassar en 605 . L’Egypte profite aussi du déclin de l’Assyrie pour s’affirmer de nouveau au Proche-Orient.
La Phénicie sous la domination babylonienne (610-539)
Contrairement aux Assyriens, les Babyloniens imposèrent un contrôle complet sur les cités phéniciennes. L’année 605 marque pour elles une année décisive car Nabuchodonosor II qui s’installe sur le trône de Babylone est victorieux des Egyptiens et maître de la Syrie du Nord. Déportant une partie des Phéniciens à Babylone, il s'assura du contrôle total sur les richesses du pays, en particulier les forêts de cèdres. Seule la cité de Tyr résista au siège de l'envahisseur durant 13 années (vers 585-573). « Les oracles bibliques d’Ezéchiel brossent un tableau impressionnant de la puissance de la cité ». Vers 563, sous la pression de Nabuchodonosor qui veut la punir, des juges sont instaurés pendant sept ans à la place de sa dynastie royale. A sa mort, l’Empire babylonien est à son apogée. Mais il a déjà amorcé son déclin à la venue au pouvoir en 556 de son dernier roi, Nabonide. A la veille de la chute de l’Empire babylonien, Tyr, qui a perdu presque toutes ses colonies, n’est plus aussi puissante et prospère. « Selon un processus mainte fois constaté au cours de l’histoire de la Phénicie, Sidon sa voisine en profite pour se développer. »
La Phénicie sous la domination perse (539-332)
Devenu roi en 549, Cyrus II prend Babylone en 539. Dès cette date, les cités phéniciennes sont intégrées au nouvel empire perse sans combat. Elles font partie de la province de Transeuphratène dont le satrape réside à Damas et où Cyrus II distingue les rois trônant dans des palais comme les rois phéniciens, et les rois vivant sous la tente comme des tribus nomades. Il est considéré comme un souverain juste par les sources classiques et bibliques. Quand son successeur, Cambyse II, qui venait de conquérir l’Egypte, décide de s’en prendre à Carthage, les Phéniciens lui refusent le concours de leurs flottes, arguant de leur parenté avec les Carthaginois.
Les rois de Byblos, Tyr et Sidon doivent accepter la présence dans leurs cités de gouverneurs perses. Eshmunazor II qui règne à Sidon vers 539-525 est connu grâce à son beau sarcophage conservé au Musée du Louvre. Les flottes phéniciennes participent aux guerres de Darius Ier contre les Grecs. En 495, leurs navires, qui font partie de la flotte perse, affrontent victorieusement la flotte ionienne à Ladè. Mais lors de la deuxième guerre médique menée par Xerxès I er, elles sont défaites par la flotte athénienne en septembre 480. Les Grecs remportent de nouvelles victoires navales sur les Perses, et donc les Phéniciens, à Mycale (479) et à l’Eurymédon (466). « Les flottes de Sidon, Tyr et Arwad ne dominent plus la Méditerranée orientale. Seule Byblos reste préservée. » Cette dernière, écrit Josette Elayi, « après une quasi-inexistence qui durait depuis cinq siècles (…) se militarise et se décide soudain à retrouver la place qu’elle occupait au IIIe et IIe millénaires sur la scène politique du Proche-Orient. »
Les cités phéniciennes commencent à frapper monnaie autour de 450. « Même si l’époque où Tyr était alimentée par les richesses de ses colonies occidentales est révolue, elle garde toujours des liens avec ses colonies chypriotes. » Sidon, sous la dynastie de Baalshilem Ier, est toujours la première cité phénicienne. En 394, sous le règne d’Artaxerxès II, la flotte sidonienne joue un rôle essentiel dans la victoire navale perse de Cnide contre Sparte. Après s’être rendu maitre des colonies de Tyr à Chypre, Evagoras Ier, roi grec de Salamine, allié d’Athènes, attaque la cité elle-même dont il s’empare des possessions côtières. Mais, revenu d’une campagne d’Egypte, (qui a d’ailleurs été pour lui et les flottes phéniciennes un désastre), Artaxerxès II le bat et reprend le contrôle de Chypre. Successeur de Baalshilem II, le roi de Sidon, Abdashtart Ier, réussit d’abord à entretenir de bonnes relations à la fois avec Athènes et Artaxerxès II. Mais s’étant soulevé contre ce dernier, sa révolte est écrasée en 355. Son magnifique sarcophage « des Pleureuses » se trouve au Musée d’Istanbul. Sous son successeur, Tennès, une nouvelle révolte contre les Perses est écrasée impitoyablement par Artaxerxès III. Il favorise Tyr dont les esclaves s’étaient révoltés en 354. L’époque perse voit aussi la fondation de Tripoli par les trois cités de Sidon, Tyr et Arwad.
L’hellénisation de la Phénicie
Après la victoire d’Alexandre le Grand sur l’armée perse à Issos en 333, Arwad, Byblos et Sidon lui font allégeance. Seule Tyr lui résiste. Mais, l’été 332, au terme d’un siège de sept mois, la ville insulaire, qu’il avait fait relier au continent par un môle, est prise par Alexandre. C’est la fin conventionnelle de l’histoire de la Phénicie et sa rapide hellénisation.
« Les Phéniciens, conclut l’auteure, ont incontestablement un destin commun et pourtant si différencié d’une cité à l’autre (…). Elles sont placées entre le refuge de la montagne et l’aventure de la mer. La Phénicie par sa place centrale au Proche-Orient sert de terrain d’affrontement entre les grandes puissances (…). Le désir d’indépendance des Phéniciens les pousse périodiquement à la révolte contre l’occupant. Ainsi les cités phéniciennes sont toutes de simples pions sur l’échiquier des grandes puissances et, en même temps des grains de sable faussant l’engrenage des conquêtes. »
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