Articles
Pour rétablir la vérité: Les vestiges archéologiques du centre-ville de Beyrouth Dr. Hareth Boustany avril 2014
Beaucoup de choses se sont écrites et dites, ces dernières semaines, sur les vestiges archéologiques du centre-ville de Beyrouth. Quelques vérités et beaucoup d’erreurs et de contre-vérités véhiculées, par des journalistes en mal de scoops sensationnels. Leurs affirmations gratuites ont ébranlé une grande partie des intellectuels et de la population. Les colporteurs de ces informations n’ont pas eu l’idée d’enquêter auprès des archéologues qui ont travaillé depuis 1992 au centre ville, qu’ils aient appartenu à la Direction générale des Antiquités ou aux différentes universités libanaises ou étrangères sous la houlette de l’UNESCO.
Il nous a paru nécessaire de mettre les choses au point.
Les principes généraux :
Il existe deux techniques de fouilles archéologiques : les fouilles en rase campagne dans les zones inhabitées et les fouilles de sauvetage en milieu urbain.
Dans le premier cas, les archéologues ont toute la latitude et tout le temps nécessaire pour mener à bien une fouille horizontale qui leur permettrait d’étudier à loisir tous les vestiges découverts. Alors que les fouilles en milieu urbain sont des fouilles de sauvetage, elles suivent la technique des fouilles verticales pour étudier les composantes de toutes les cultures accumulées au fil des siècles, les unes au-dessus des autres. Il faut attirer l’attention, ici, sur un critère culturel qui est devenu le crédo des instances culturelles internationales à savoir : l’architecture est le seul art qui détermine l’évolution d’un peuple ou d’une nation et que l’on ne peut arrêter cette évolution surtout dans l’essor des grandes villes. Donc le travail consiste à scruter les strates archéologiques et à les démanteler scientifiquement pour arriver à la couche fondatrice de la ville et cerner ainsi la date de sa fondation et de son évolution.
En ce qui concerne le Liban et les Libanais, notre civilisation mère est celle des Cananéens-Phéniciens. C’est donc ce niveau culturel que nous devons atteindre et étudier après avoir démantelé scientifiquement toutes les couches supérieures.
Beyrouth ayant été envahie et occupée plusieurs fois au cours des siècles, nous sommes souvent confrontés dans notre travail à un entassement de vestiges archéologiques dont les plus récents remontent à l’époque ottomane et coiffent plusieurs strates culturelles. Ces dernières vont de l’époque mamelouke à l’époque cananéenne-phénicienne qui est le plus ancienne, en passant par les époques suivantes : Croisée, arabe, byzantine, romaine, hellénistique, perse, et mésopotamienne.
Il est à noter qu’au fil des siècles la strate phénicienne s’est vue déborder par des structures et des constructions qui appartiennent à des civilisations plus récentes et que, par conséquent, dans certains quartiers à la périphérie de l’ancienne Beyrouth, nous risquons de trouver, à même le sol vierge des vestiges appartenant à des culture plus récentes tels des vestiges grecs, romains, byzantins, arabes ou autres.
Le démantèlement des strates superposées est connu des archéologues depuis plus d’un siècle et ils y ont en recours même dans les grands chantiers où il n’y avait pas de contrainte. Maurice Dunand, un des plus grands archéologues français l’a expérimenté avec bonheur à Byblos dans la première moitié du XXe siècle, alors qu’il n’existait aucune technique moderne telle le phototopostéréo grammetrie ou le scanner. En fouillant le site de Byblos, Maurice Dunand avait découvert un petit odéon romain au centre duquel avait été incrustée une des plus belles mosaïques, celle représentant le dieu Bacchus, qui est actuellement exposée au musée national de Beyrouth. En faisant un sondage autour de cet odéon et après avoir enlevé la mosaïque, Dunand découvrit une structure architecturale sous le petit monument.
Il décida de le déplacer en numérotant ses pierres et le reconstruisit à côté de la nécropole royale face à la mer. Il découvrait alors le temple égyptisant aux obélisques, un bijou architectural du XVIIe siècle av. J-C.
Ayant fait un autre sondage, il découvrit derechef d’autres structures plus anciennes, il décida de déplacer toute le temple à l’est de site. Il découvrait alors le temple en L qui remonte au IIIe millénaire av. J-C.
L’hippodrome de Beryte :
Chaque ville importante de l’empire romain avait son hippodrome qui se trouvait situé extra-muros. Dans les années 1960, la direction générale des Antiquités avait découvert et désensablé celui de Tyr, alors que celui de Béryte était resté enfoui. Les archéologues français et libanais de la première moitié de XXe siècle l’avaient situé, grâce à des sondages, sous les rues de France et de Wadi abou-Jmil. En fait ces deux rues suivaient exactement le tracé du sommet des gradins, l’hippodrome de Béryte avait 500m de longueur et cent mètres de largeur. Soit une superficie de 50.000m2.
Les autorités étaient au courant de ce fait. Ce qui n’a pas empêché son lotissement et la vente des terrains aux promoteurs. Un de ces promoteurs acheta une parcelle de 3800m2. Ayant commencé ses excavations, il buta sur des vestiges archéologiques. La Direction des Antiquités arrêta ses excavations et s’empara du site. Elle nettoya toute la superficie et mit au jour ce qui restait des gradins érodés par le temps et les intempéries et la spina centrale.
On demanda alors au propriétaire du terrain d’accepter d’intégrer les vestiges dans sa construction et d’y créer un musée. Celui-ci accepta et fit venir de Rome ses deux architectes italiens. Une réunion entre les intéressés se tint à la Direction des Antiquités et les plans du nouvel immeuble furent changés dans ce sens.
Les archéologues de la D.G.A. firent ce que Maurice Dunand avait fait avant eux.
Ils démontèrent la spina en vue de la restaurer, pour permettre au promoteur de creuser ses soubassements et ces parkings pour ensuite remettre la spina à sa place. Ils ne touchèrent pas aux gradins déjà détériorés par les intempéries et l’érosion naturelle.
C’est alors que le ministre de la culture M. Gaby Layoun donna au propriétaire la permission de reprendre le travail. Ceci étant dit, il reste aux journalistes d’enquêter pour savoir ce qu’il est advenu des 46200m2 restants.
Le soi-disant « port phénicien » :
Quant au soi-disant « port phénicien », les journalistes auraient dû s’enquérir auprès des archéologues libanais et ceux des équipes de l’UNESCO qui surveillaient les travaux d’infrastructure dans le centre-ville. Ils auraient su qu’une partie du port phénicien avait été trouvée avec son quai et ses bittes d’amarrage sous la rue Allenby. Il fut nettoyé et documenté et porté sur les cartes montrant l’évolution de la ville de Beyrouth. Mais les experts de l’UNESCO, archéologues et urbanistes, trouvaient qu’on ne pouvait fermer une rue indispensable à la circulation; ils décidèrent donc de protéger le port et de le recouvrir pour les générations futures. Donc cette pente rocheuse que l’on a surnommée « port phénicien » ne saurait être, dans le meilleur des cas, qu’une cale sèche ou radoub.
Comme les Romains et après eux les Byzantins ne pouvaient construire leurs monuments avec de la pierre « ramlé » de Beyrouth, ils ont utilisé ce rocher comme carrière. Ils le vidèrent n’en laissant que la caresse qui ne représentait plus qu’une valeur documentaire géologique.
Le Dr. Alexandre Sursock sismologue et géologue émérite nous a envoyé, à ce sujet cette note : « … A mon humble avis et pour avoir assisté à des présentations sur le sujet des ports phéniciens à Enfé, Byblos et près de Naqoura, je ne crois absolument pas à un port phénicien à Beyrouth à cet endroit. Mon argument est d’ordre géomorphologique sur la ligne de côté à l’époque phénicienne. On ne connaît pas le tracé ancien de la ligne de côté. Mais ce que l’on sait de manière certaine est que cette côte continue à se soulever à chaque tremblement de terre important. Entre nous et les Phéniciens, il y a un séisme majeur, celui de 551 qui a affecté toute la côte de Saïda à Tripoli. On a pu dater par datation isotopique ce soulèvement, le total cumulé depuis 4000 ans serait de 200m ».
Là aussi la décision du ministre a été correcte.
Mais mettons une fois pour toutes les choses au point en revenant aux fouilles de sauvetage en milieu urbain . On ne peut arrêter l’évolution architecturale d’une cité. On ne peut pas couper le tissu urbain en laissant ça et là des trous béants qui deviendront tôt ou tard des dépotoirs d’ordures. On doit surtout travailler à conserver in situ les plus importants vestiges, d’abord de notre culture mère, et ensuite ceux des autres cultures qui se sont amalgamés avec la notre en les intégrant dans les nombreux immeubles de la place de Beyrouth. Ce sera la meilleure solution pour les conserver à couvert et les entretenir pour que Beyrouth devienne la première ville au monde à avoir sous chaque bâtiment un petit musée.
Revenir à Articles |