Éditions De La Revue Phénicienne : La Premiere Maison d'Édition Francophone Au Proche-Orient
  Si je rappelle aux miens nos aïeux phéniciens,
C’est qu’alors nous n’étions au fronton de l’histoire,
Avant de devenir musulmans ou chrétiens,
Qu’un même peuple uni dans une même gloire ...
Charles Corm
La montagne inspirée, 1934
 

La Revue
Articles
Le monotheisme et la Phenicie
Dr. Hareth Boustany
avril 2014

Le Monothéisme et la Phénicie 

« Ainsi l'on est bien fondé à croire que, du temps de Jacob, les Phéniciens n'étaient pas encore tombés dans l'idolâtrie» (Genèse XXX, 1).

Cité par l'Abbé Foucher, XVIIIème siècle

La croyance en une vie après la mort a lentement fait son chemin après la première sédentarisation, à l'époque protohistorique. Si le concept d'une ville des morts à côté de celle des vivants ne devait apparaître qu'à la fin du IVe millénaire av. J-C., les habitants de Jbeil (Byblos) de l'époque énéolithique ressentaient le besoin d'être toujours en contact avec leurs morts qui représentaient pour eux leurs racines. Et qui dit racine dit être vivant, susceptible de croitre, d'évoluer et de se renouveler périodiquement.

La croyance en la survie de l'âme après la disparition du corps est attestée par les découvertes enfouies sous le sol des habitations monocellulaires des VIIe et VIe millénaires av. J-C.: de grandes jarres en terre cuite de forme ovoïde dans lesquelles étaient enterrés des corps humains auxquels on avait donné la forme du fœtus. A côté de ces corps, on avait placé des armes, des assiettes et des pots qui devaient contenir de la nourriture.

Toutes ces évidences portent à croire que l'habitant de Jbeil de cette époque préparait la personne disparue à entreprendre une nouvelle vie. En effet, d'après l'un des historiens anciens, Sanchoniaton de Beyrouth (IXème siècle av. J-C.) dont les écrits ont été repris par Philon de Byblos puis par Eusèbe de Césarée, tout serait né de l'œuf (jarre ovoïde). Nous trouvons aussi mention de la théorie de l'œuf symbole de vie dans les œuvres de St Jean Damascène et dans le traité de Lucien de Samosate, La Déesse Syrienne.

Les armes et les aliments déposés à côté du mort devaient l'aider à affronter les dangers qu'il pouvait encourir dans sa traversée vers la nouvelle vie. L'âme étant donc éternelle se trouvait, par le fait même déifiée ; ainsi toutes les âmes des défunts se regroupaient pour glorifier la grande âme invisible du dieu.

Ce grand dieu, les anciens Cananéens ne le connaissaient pas encore, mais ils pressentaient sa présence. Ils avaient choisi, pour l'honorer, un monticule surplombant la ville, sur lequel ils avaient aménagé un petit temple qu'ils appelèrent, dans leur langue, Beit El, ou la maison du dieu El. Ce dieu dont les Cananéens vénéraient la présence impalpable devint le dieu des phénomènes incompréhensibles pour eux, sur lesquels ils n'avaient aucun pouvoir et qui les

Subjuguaient par leur régularité.

Telles, pour le peuple agraire qu'ils étaient au début de leur histoire, les forces transcendantes: l'eau, la pluie, le vent, le soleil, la montagne et surtout la mort, la fermentation et la résurrection des végétaux au printemps.

Tous ces éléments, plus ou moins déifiés, étaient orchestrés par un pouvoir suprême détenu donc par El, « créateur de la création, de la terre et des humains».

La fragmentation de la puissance divine de El en plusieurs «sous-dieux», si l'on peut se permettre cette qualification, n'est advenue que plus tard, lorsque les Cananéens prirent conscience de l'importance des éléments naturels qui rythmaient leur vie.

Mais la facette la plus attachante du dieu El est, sans conteste, la personnalité du dieu Adon. Ce jeune dieu d'une beauté incomparable formait un couple amoureux avec sa sœur et compagne Ashtart (symbole d'androgynie); un jour de printemps, il alla chasser le sanglier du côté d’Afqa, dans la montagne au-dessus de Byblos. Le sanglier le surprit et le tua. Sa compagne, ne le voyant pas revenir, partit à sa recherche et le trouva trois jours plus tard baignant dans son sang. Elle pleura tellement sur son corps qu'elle lui redonna la vie.

Ce mythe chargé de symboles (la vie de l'âme après la mort, le cycle du renouvellement des végétaux, le symbole de toute renaissance) donna aux hommes une dynamique d'espérance qui dure jusqu' aujourd'hui. Il fut d'abord adopté par les Égyptiens qui en tirèrent le mythe d'Osiris et d'Isis, puisque c'est sur les plages de Byblos et dans le tronc du cèdre qu'Isis retrouva son compagnon. Puis le mythe fit le tour des villes méditerranéennes et atteignit la civilisation grecque, avec Cadmos. Écoutons à ce propos l'historien et archéologue français René Largement : « Le dieu qui meurt et qui ressuscite serait un don des Phéniciens à la Grèce … et ce fut là, un don extrêmement précieux ! Son culte, vivant dans toutes les grandes villes et ports méditerranéens, a préparé la voie au Christ ».

Nous avons donc vu comment les Cananéens ont organisé leur vie, leur mort, et leur vie après la mort, et ce, dès le début du IIIème millénaire av. J-C. Leur partenariat culturel et économique avec les Égyptiens à fait de Byblos un des deux foyers de la civilisation naissante.

Inventeurs et propagateurs de l'alphabet, habiles marchands et audacieux navigateurs, fiers adversaires des Romains dans les guerres puniques pour la domination de la Méditerranée, portant leur offensive jusqu'au pied des murailles de Rome, les Phéniciens sont un peuple relativement proche du peuple hébreu. Leurs langues respectives appartiennent à un groupe linguistique unique, celui appelé « cananéen ». Parmi les langues sémitiques occidentales, le phénicien fut plus voisin de l'hébraïque que ne le fut l'araméen parlé par Jésus. Il est souvent facile de reconnaitre l'hébraïque dans le terme phénicien correspondant. Étant donné ce grand rapprochement, la religion des Phéniciens peut-elle donc nous aider à comprendre la religion des Hébreux, ce monothéisme qui a fini par s'imposer au monde ? L'impression qui s'en dégage, basée sur une connaissance sommaire de la religion phénicienne, du reste mal connue des spécialistes eux-­mêmes, fait ressortir clairement quelques analogies. Le culte monothéiste de El chez les Phéniciens apparaît comme le fruit d'une évolution, alors que chez les Hébreux, il apparaît comme le résultat d'une « révélation» faite à Abraham. Pour les Cananéens, la religion est le fruit d'un développement naturel de conceptions religieuses antérieures et environnantes, au moins dans le sens qui est conçu, voulu et imposé par des personnalités particulières, ou des groupes restreints de tradition sédentaire, parfois en contradiction avec le penchant commun du peuple, alors que celle de Yahvé à des caractéristiques réalistes, concrètes et terrestres qui appartiennent au fond de la religiosité sémitique nomade dont faisaient partie les Hébreux.

Le terme qui exprime ce que nous appelons « religion », par exemple, fait défaut dans la langue hébraïque comme dans la phénicienne, ce qui revient à dire, en définitive, qu'il manquait, chez les deux peuples, une vraie distinction entre le phénomène religieux et les autres aspects de l'expérience humaine. D'autres analogies nous frappent, comme l'étroite connexion qui s'établit, de diverses façons, entre la divinité et la royauté et entre l'absence du demi-dieu phénicien Melqart dans les sanctuaires, et toute représentation divine dans le temple de Jérusalem. On devrait citer le caractère écrit, et non oral, de la mythologie phénicienne, conservée dans les archives des temples et utilisée pour le culte; la non-distinction, et donc, à plus forte raison, l'inséparabilité entre « l'âme» et « le corps»; ou disons-le, la résurrection des corps, le rôle important de la divination, des oracles, des conjurations contre les puissances des ténèbres qui menacent la vie des hommes; toutes chose qui n'existaient pas chez les Hebreux.

Dans le livre de la Genèse

« Les Phéniciens, un peuple à qui toutes les nations de l'Occident doivent les arts, les sciences, et presque la sociabilité ».

Abbé Foucher, XVIIIe siècle

On sait, grâce à toutes les études et recherches publiées par les archéologues et les historiens, que la mythologie phénicienne a, plus que la mythologie égyptienne, influencé en profondeur la mythologie grecque. Les Phéniciens, bien avant les Égyptiens, avaient établi des colonies en Grèce. Leurs vaisseaux visitaient tous les ports de cette contrée et abordaient dans toutes les villes. Les archéologues ne cessent de découvrir, jusqu'à présent, une origine phénicienne à la plupart des villes maritimes des côtes de la Méditerranée, y compris les promontoires de la Grèce. Depuis la plus haute Antiquité, les Phéniciens commerçaient avec les Grecs et, par conséquent, leur communiquaient leurs croyances et leurs mythes.

Il y a plus. Cadmos, chef de la dernière colonie étrangère, quoiqu'on ait cru qu'il était venu d'Égypte, était tyrien comme tous ses compagnons, ainsi que nous l'apprend Hérodote[1]'. Or, Cadmos était féru de religion et s'occupait beaucoup de cérémonies religieuses ; ce fut donc lui qui, le premier, introduisit en Grèce les mystères de Dyonisos (ou Bacchus). Son petit-fils renouvela les manifestations de cet ancien dieu.

Mélampas, qui donna la dernière forme à la mythologie grecque, avait, selon Hérodote', puisé sa doctrine dans les enseignements des Tyriens, compagnons du fondateur de Thèbes. Cette théorie aurait enrichi la Grèce de la connaissance des lettres, des arts, de l'agriculture et de la mythologie des Phéniciens.

Les faits viennent conforter cette thèse. En vain chercherait-on Saturne dans la liste des divinités égyptiennes, on y trouverait encore moins sa cruauté envers son père et ses enfants et ses combats contre Jupiter. On découvre plus aisément l'origine de ce dieu dans la figure historiquement documentée de Moloch de Carthage et dans les inscriptions de l'Afrique du nord.

La déesse grecque Aphrodite ressemble bien plus à l'amante d'Adonis qu'à Isis, épouse d'Osiris. Les Grecs eux-mêmes plaçaient en Phénicie les aventures de leur déesse et convenaient qu'ils devaient sa connaissance et son culte à 1'Ile de Chypre, colonie phénicienne.

Dyonisos, lui-même, qui semble calqué sur Osiris, a cependant, comme dieu de la vigne, un trait frappant de conformité avec une divinité phénicienne, Adonis.

Ceci étant, on ne pourra nier que les Grecs n'aient pris des Phéniciens leurs dieux marins. Le Égyptiens, qui détestaient la mer, ne mettaient dans cet élément que Typhon et sa noire cohorte, et Typhon n'était pas un objet d'adoration pour eux. Il n'y avait qu'un peuple dévoué à la marine, qui pût s'aviser de peupler la mer de divinités bienfaisantes et de représenter ses dieux sous forme d'un poisson. Hérodote[2] assure que Poséidon ou Neptune était un dieu libyen et non pas égyptien. Il ne se trompe pas beaucoup, car en fait, les côtes d'Afrique étaient parsemées de colonies phéniciennes.

C'est donc en Phénicie et, accessoirement en Égypte que nous devons chercher l'origine de l'hellénisme ; et si les Grecs ont adopté le dogme des Théophanies, ils le tenaient également des Phéniciens et des Égyptiens. Toutefois, nous savons que la religion des Égyptiens devait être, originairement, celle des Cananéens, sédentarisés dès le début du IVe millénaire sur les côtes orientales de la Mer Méditerranée, après avoir passé par le Sinaï. Les événements, les mœurs, la variété des gouvernements et des occupations ont dû produire des différences dans les idées et de la diversité dans les mythes.

Ainsi, si les Égyptiens ont connu les Théophanies, nous pouvons affirmer, qu'à plus forte raison, les Phéniciens devaient les avoir également connues. Nous savons que leur mythologie passait pour très obscure, et ce, jusqu'aux découvertes de Ras-Shamra Ougarit et d'autres sites disséminés sur les côtes orientales et occidentales de la Méditerranée. Leur histoire même nous était peu connue; cependant il n'y en a pas une qui put être aussi intéressante que «celle d'un peuple à qui toutes les nations de l'Occident doivent les arts, les sciences, et presque la sociabilité», comme l'a dit Monsieur l'Abbé Foucher au XVIIIe siècle. Cette méconnaissance de l'histoire des Phéniciens ne peut être imputée aux Anciens. Hieronymus de Rhodes et d'autres écrivains classiques avaient recueilli avec soin tout ce qui concernait ce peuple, la liste dynastique de leurs rois, leurs guerres, leurs résistances aux envahisseurs, leurs expéditions maritimes, leurs commerces, leurs colonies et leurs croyances religieuses; mais tous ces ouvrages furent perdus et nous fumes réduits à quelques fragments épars à l'aide desquels nos savants modernes ont essayé de débroussailler l'histoire et les idées religieuses de cette nation, et ce, à partir du XVIIIe siècle.

Nous n'aurions rien eu à regretter si les auteurs contemporains des Phéniciens avaient fourni plus de détails à leur sujet. Ils nous indiquent, il est vrai, les noms de leurs principaux dieux, mais ils n'en déterminent point la nature.

Quant a nous, nous supposons que tous les peuples de la terre ont commencé par être monothéistes. Ce n'est qu'avec l'évolution de leurs cultures et de leurs sociétés qu'ils ont ressenti le besoin de décharger la puissance divine universelle de son lourd fardeau, pour en distribuer les charges à d'autres déités mineures.

Tous les peuples du Proche-Orient ont conservé, pendant quelque temps, la religion monothéiste universelle et ne s'en sont écartés que peu à peu et quelquefois sans s'en apercevoir. On n'abandonne pas aisément des principes hérités des aïeux à moins que quelque cause extraordinaire n'oblige en quelque sorte à y renoncer. Mais les hommes sont superstitieux de nature. Sous prétexte de perfectionner la religion, on voulut y adjoindre les spéculations de quelques sages et de quelques penseurs et élaborer des cérémonies plus aptes que les anciennes a se concilier les faveurs du ciel. Peu à peu, on perdit de vue les grands principes de la religion primitive et on y ajouta des considérations plus matérialistes ; c'est ainsi qu'elle dégénéra, par étapes, au point de devenir méconnaissable, sans qu'il n'y ait jamais eu personne, qui, délibérément, ait conçu le projet de la changer.

Les interférences des croyances des autres peuples de la région sont pour beaucoup dans la prolifération des dieux secondaires. Et c'est pour cette raison, expliquent les exégètes, que Dieu, voulant s'attacher un peuple qui conservait la pureté du culte, fit surgir Abraham de son entourage. Quoique Moïse ne mention ne pas ce motif, on ne peut néanmoins le mettre en doute, puisqu'il est certifie par Josué[3].

« Au-delà du fleuve habitaient jadis vos ancêtres, Térah père d'Abraham et de Nachor, et ils servaient d'autres dieux. Alors je pris votre père Abraham d'au-delà du fleuve et je lui fis traverser toute la terre de Canaan ... ».

La même chose est attestée par Achior, dans ses discours à Holopherne ; ce qui montre que les Mésopotamiens avaient perverti leur religion bien avant le temps d'Abraham[4] que Dieu leur avait retiré.

De la Mésopotamie à l'Égypte, on dota chaque élément incompréhensible de la nature, d'un dieu. Diodore de Sicile[5], parlant des croyances de ces peuples, affirme que: « Contemplant la forme de l'univers dont ils admiraient l'ordre et la beauté, ils furent saisis d'étonnement à la vue du soleil et de la lune, ils regardèrent ces deux astres comme des divinités principales et éternelles. Ce sont, dirent-ils, les dieux qui gouvernent le monde, qui entretiennent le changement des saisons dont le retour fixe fait l'harmonie de l'univers ».

C'est ainsi que Diodore de Sicile fait raisonner les Égyptiens et surtout les Mésopotamiens, les plus grands et les plus anciens scrutateurs des astres. Telle est l'origine du polythéisme dans le monde : on voyait dans le soleil et la lune comme des émanations déifiées du dieu suprême El, l'écoulement de sa substance, le tabernacle de son habitation, le canal de ses bienfaits et la bonne gouvernance du monde. En conséquence, on crut leur devoir des honneurs religieux, ou plutôt associer leur culte à celui de El lui-même, qu'on regardait toujours comme le créateur de l'univers et l'auteur de toutes choses.

A ces nouveaux dieux, les peuples de l'Antiquité ajoutèrent de petites statuettes stylisées, les Bétyles, auxquelles ils attribuèrent une efficacité merveilleuse et dans lesquelles ils s'imaginaient que le dieu El venait faire sa résidence. Les savants ont beaucoup réfléchi sur la forme de ces petites figurines et sur l'usage qu'on en faisait. Quoi qu'il en soit, il est certain que dans les premiers temps, on croyait pouvoir allier le culte qu'on leur rendait avec celui du dieu suprême, El. Nous en avons un exemple frappant dans Laban, beau-père de Jacob, qui faisait beaucoup cas de ces Bétyles, mais qui, néanmoins, adorait El, le Dieu de ses pères et parlait en son nom (Gen. XXXI).

Flavius Josèphe et d'autres écrivains attribuent cette innovation au fameux Ninus. Ils racontent en détail les disputes d'Abraham avec les novateurs et les persécutions qu'il subit de leur part.

C'est à cette époque donc, qu'Abraham apparut en Mésopotamie et là, il reçut l'ordre de El d'aller au pays de Canaan, pour garantir sa sécurité et celle des siens (Gen. XXIII). Les textes d'Ugarit mentionnent que, bien avant Abraham, les Hébreux avaient déjà fait des incursions dans le pays de Canaan.

Kéret, roi des Sidoniens, se trouve engagé dans une lutte contre Térah, père d'Abraham, roi de Négeb, cette région désertique du sud de la Palestine, de tout temps objet de querelle. Keret a qui le dieu El, son père, avait promis une belle postérité, n'a pas encore d'enfants. A la veille de la bataille dont il pressent les conséquences désastreuses, il craint d'être tué et de laisser le trône à des étrangers;  et il se met à pleurer. Son père le rassure alors, et lui ordonne d'offrir un sacrifice: « Tu te laveras et tu deviendras rouge. Lave ta main ton coude et tes doigts jusqu'à l'épaule. Entre dans l'ombre de la tente. Prends l'agneau du sacrifice dans ta main, l'agneau du sacrifice dans ta droite, le chevreau dans tes deux mains, la totalité de ton pain, …

Prends l'oiseau du sacrifice; verse dans une coupe d'argent du vin, et dans une coupe d'or du miel. Monte au sommet de la tour, et monte au sommet de la tour. Chevauche les épaules du mur. Lève ta main vers les cieux. Sacrifie un taureau à ton père, qui est EL. Sers Baal en lui offrant ton sacrifice, et Ben-Dagon en lui offrant le produit de ta chasse ».

Le sacrifice accompli, le dieu est satisfait et la victoire assurée.

Le sacrifice comprend la purification, l'immolation de l'agneau et du chevreau, l'offrande du produit de la chasse et des produits de la terre, le vin et le miel.

Le texte phénicien n'insiste pas, il est vrai, sur l'idée de substitution;  mais tout sacrifice, ne comporte-t-il pas nécessairement cette idée de rachat, où une créature subalterne, bétail ou fruit de la nature, prend la place d'un homme depuis Adam et Abel, pour marquer sa dépendance à l'égard du créateur, mais surtout pour réparer une offense et détourner la colère divine ?

Plus le sacrificateur est proche de la divinité, et plus le sacrifice lui est agréable; le grand-prêtre communique plus avec la divinité que le prêtre, et davantage encore s'il est lui-même fils du dieu.

Abraham fut très bien reçu dans ce pays, il eut droit à un grand respect, car il fut considéré comme un homme de Dieu. Il fit des alliances et des traités avec les Cananéens où le nom du dieu El était cité, selon la pratique religieuse de l'époque. On ne voit pas dans ces traités d'autres dieux invoqués. L'auteur de la Genèse, qui ne dissimule point les travers des Cananéens-Phéniciens, ne dit mot des vices de leur religion, s'il y en eut.

Peut-être devrait-on juger la religion des peuples de la Phenicie par celle d'Abimeleck, I'un de leurs rois (Gen. XX).

En effet, Abimeleck avait le même Dieu, El, qu'Abraham. C'est El qui révèle au roi que l'étranger est un prophète; c'est lui qui lui pardonne le crime involontaire qu'il avait été sur le point de commettre. C'est lui à qui Abraham offre des sacrifices pour le salut du prince de sa maison, sacrifices auxquels il est certain qu'Abimeleck s'est uni. Ce roi semble être un initié et avoir une âme religieuse. « Adonaï mon seigneur, a-t-il dit à El qui le menaçait des pires châtiments punissez-vous un peuple innocent? », « Je sais, lui dit El, que vous avez agi avec un cœur simple, c'est pour cela que je vous ai préservé de pécher contre moi ». (Gen. XIV)

Mais ce qui tranche tout malentendu à cet égard, c'est la conduite que tint Abraham envers Melkisedeq. Ce roi cananéen de Salem était en même temps Grand-Prêtre du Dieu Très Haut El-Elyon, c'est-à-dire qu'il était le souverain Pontife de tout le pays. Abraham, quoique Prêtre dans sa famille, le reconnut en cette qualité, se soumit à lui et lui offrit la dîme des dépouilles prises sur les ennemis des Phéniciens. Melkisedeq le bénit au nom du « Dieu Très Haut, maître du ciel et de la terre ». Dira-t-on que ce Pontife, que Saint Paul nous présente comme la vraie figure de Jésus-Christ[6], était un prêtre des faux dieux? Que son sacerdoce auguste, supérieur à celui d'Aaron, était souillé dans son objet et dans ses cérémonies ?

Le culte phénicien était donc encore dans toute sa pureté et le père des croyants l'atteste authentiquement en y participant dans la circonstance la plus frappante; car il faut noter que l'assemblée était nombreuse. Non seulement les Phéniciens, hôtes d'Abraham étaient présents, mais aussi le roi de Sodome, les princes de cette vallée et leurs sujets sauvés de la captivité, assistèrent au sacrifice national. Abraham jura au roi de Sodome qu'il ne retiendrait pas un seul fil des dépouilles arrachées à l'ennemi commun. « Par le Dieu Très-Haut, maître du ciel et de la terre », c'est-à-dire par le Dieu qu'ils venaient tous d'invoquer par le ministère du Pontife Melkisedeq.

Parce qu'il y avait une disette au pays de Canaan, Abraham continua sa route vers l'Égypte dans la foulée des Princes Pasteurs de Canaan qui conquirent l'Égypte et dominèrent le pays pendant un peu moins de deux siècles. Ils furent connus dans l'histoire sous le nom des Hyksos, transcription hellénisée de leur nom en phénicien « Ha-Qichichou» (en arabe: Qassis) les Pasteurs ou « Meneurs d'hommes ». Ces rois, sémites comme Abraham, communiquèrent facilement et librement avec lui, et El révéla au Pharaon que Sara était la femme de l'Étranger et non pas sa sœur. On voit par la que ces Sémites, Hyksos et Phéniciens, n'avaient pas encore altéré et fait dégénérer la religion primitive. Ce n'est que plus tard que les Egyptiens-Hyksos introduisirent des superstitions et altérèrent la religion originelle héritée de leurs ancêtres cananéens.

Il est vrai qu'Abraham, voulant marier son fils, défendit sévèrement à son intendant de lui amener une fille de Canaan, et lui fit promettre par serment qu'il s'en irait chercher une jeune fille parmi les Hébreux qui étaient restés en Mésopotamie. Cette opposition du Patriarche à une alliance de cette nature ne prouve point du tout que la manière de penser des Cananéens fut altérée ; mais Dieu lui avait révélé que ce peuple sera rejeté pour son apostasie. Eût-il été décent qu'il unît son fils, héritier des promesses, avec « une race maudite»? (Gen. XXVIII). C'est aussi dans cette vue prophétique qu'Isaac défendit à son fils Jacob de prendre femme parmi les Cananéens, et lui ordonna d'aller dans la famille de sa mère. Si la religion des Phéniciens avait été le motif de cette interdiction, Isaac n'aurait pas accepte qu'Esaü, son fils aîné, prit pour femmes deux filles de la région cananéenne, (Gen. XXVII ,46), il est vrai que Rebecca ne les aimait point; « La vie m'est à charge, disait-­elle à son mari, à cause de ces filles. Si Jacob se marie avec une fille de ce pays, je ne pourrai y survivre». Nous croyons que l'animosité de Rebecca envers « les filles de ce pays» venait du fait que ces femmes étaient « hautaines, contrariantes et qu'elles aimaient le luxe et la parure ». Elles n'avaient rien de cette tendre piété et de cette simplicité qui caractérisaient la famille d'Abraham. Nous croyons que c'est cette différence de mœurs et de caractères qui gênaient Rebecca. D'ailleurs, Isaac n'aurait pas souffert qu'Esaü s'alliât avec des idolâtres, ou du moins que ses belles-filles eussent persévéré dans le culte profane.

Et pourquoi voudrait-on que les habitants du pays de Canaan eussent une autre religion que celle d'Abimeleck, (Ibid. XXVI) roi de Gérare (cet Abimeleck était apparemment le fils de celui qui avait enlevé Sara. Abimeleck signifie « Père­Roi ». Il ne serait pas surprenant que les rois de Gérare se fussent approprié ce nom respectable, comme les rois d'Égypte celui de Pharaon). Ce roi était si pénétré de la crainte de Dieu, qu'il frissonnait à la seule pensée qu'un de ses sujets aurait pu commettre un adultère sans le savoir.

Ce prince vint quelque temps après, accompagné de ses deux ministres (Ibid.

XXVI et 5.), pour conclure une alliance avec Isaac. « Nous avons vu dirent-ils, que Dieu (El) était avec vous, et que vous êtes le béni de Dieu; c'est pourquoi nous avons dit, allons faire une alliance avec lui et confirmons-la par le serment ». Abimeleck et son peuple n'avaient donc point d'autre Dieu et d'autre Seigneur que celui qui comblait Isaac de ses grâces; et c'était par ce Dieu unique que, de part et d'autre, on rendait les traités inviolables.

La famille de Nachor n'avait pas non plus d'autre Dieu que celui d'Abraham, on ne peut en douter en lisant la négociation d'Éliezer pour obtenir Rebecca (Ibid. XXIV). Ce serviteur zélé raconte à Bathuel et à Laban, son fils, les merveilles que El avait opérées en faveur de son maître, et la manière toute miraculeuse dont Dieu avait dirigé son voyage. A ce récit, Bathuel et Laban, qui avaient déjà reconnu Eliezer comme un homme béni de El, s'écrièrent que la volonté de Dieu était manifeste et qu'ils n'avaient rien à y opposer. (Gen. XXIV, V, 31,50).

Rebecca, devenue belle-fille d'Abraham, n'eut pas besoin de reformer sa croyance; nouvelle Sara dans la maison de son beau-père, elle fit bien voir qu'elle avait sucé, avec le lait, les sentiments religieux dont elle était animée. Il paraît même que Dieu se révélait à elle de préférence qu'à son mari (Ibid. XXV ); car ce fut à Rebecca, et non à Isaac, que Dieu dévoila le grand mystère de l'élection de Jacob.

Cette femme, pleine de foi, ne perdit jamais de vue cette disposition de la Providence. Ce fut elle qui inspira à son fils bien-aimé le dessein d'enlever à son frère la bénédiction due à la primogéniture (Ibid. XXVII, 13), et comme Jacob hésitait, dans la crainte d'encourir la malédiction de son père, sa mère le rassura en lui disant : « que cette malédiction tombe sur moi mon fils, mais faites ce que je vous dis ». Elle était sûre du succès de son projet, Isaac ne connut le secret qu'après l'évènement; admirant la profondeur des desseins de Dieu, il s'inclina, sacrifiant son inclination naturelle (Ibid. 33).

Rebecca n'eut pas de peine à lui faire comprendre que l'héritier des promesses ne devait pas prendre épouse dans une nation vouée à la malédiction. Jacob fut envoyé en Mésopotamie. Sa mère croyait sans doute que la foi s'était conservée pure dans sa famille. Elle se trompait; de nouvelles croyances s'y étaient glissées, et Laban, son frère, en était infecté; non qu'il eut abandonné le Dieu de ses pères, mais il y joignait le culte, très superstitieux, de certaines statues appelées «Téraphims» (Ibid. XXXI). Ayant rejoint Jacob qui s'enfuyait vers le pays de Canaan, il se plaignit amèrement de ce qu'il lui avait enlevé ses filles et ses petits-enfants sans lui donner le temps de les embrasser, et ajouta avec chaleur qu'il avait même volé ses « Téraphims ». Jacob, ne sachant pas que ses femmes étaient coupables de ce vol, nia le fait hardiment; et Laban, fort attaché à ses petites idoles, fit des perquisitions, qui s'avérèrent infructueuses dans les bagages de son gendre.

Cependant, Laban n'avait pas d'autre Dieu que celui de Jacob, on le voit par L'alliance qu'ils contractèrent ensemble en se séparant et qui fut confirmée par serment: (Gen, XXXI, 53) « Que le Dieu d'Abraham, dit Laban, et le Dieu de Nachor, le Dieu de leur père, soit notre juge. Or Jacob jura par celui que craignait Isaac, son père, Per timorem patris sui Isaac ».

Ce verset a besoin de quelques explications : 1er Laban ne jure point par les «Théraphims », mais par un Dieu unique et souverain. 2e Ce Dieu est en même temps le Dieu d'Abraham et le Dieu de Nachor. Ce ne sont pas deux Dieux différents dans l'idée même de Laban. 3e- Nous voyons, cependant, que tous deux s'approprièrent ce Dieu unique, eu égard aux révélations et aux faveurs que chacun avait reçues et pour cette raison Dieu était bien plus particulièrement le Dieu de la race d'Abraham que des autres familles: cela était convenu par tous ceux qui connaissaient la protection singulière dont Dieu honorait cette race. Aussi l'auteur de la Genèse, après avoir dit simplement que Dieu apparut la nuit à Laban pour lui interdire de faire du mal à son gendre (Ibid, 29), fait dire ensuite à Laban: « j'ai assez de force pour vous faire du mal; mais le Dieu de votre père m'a dit hier, prenez bien garde de ne rien dire d'offensant à Jacob », et Jacob lui répond (Ibid, 42) pour cette cessation: « Si le Dieu de mon père, le Dieu d'Abraham et qu'Isaac révère, n'avait été pour moi, vous me renverriez à présent dénué de tout; mais Dieu a regardé mon application et le travail de mes mains, et il vous a arrêté cette nuit par ses menaces».

C'est que, à cette occasion, Dieu s'était ouvertement déclaré en faveur de la famille d'Abraham et d'Isaac, contre la famille de Nachor, et c'est ce dont Laban lui-même est force de convenir.

Au reste, nous avons des exemples incontestables qui prouvent que c'est dans ce sens qu'il faut comprendre ce langage de l'Écriture. Dieu dit à Moïse : « Je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob », donc Moïse et toute la nation des Hébreux n'avaient pas d'autre Dieu. Dans un autre registre, Elysée, ayant frappe les eaux du Jourdain avec le manteau d'Elie, et, voyant qu'elles ne se partageaient pas en deux, s'écrie : « Où est donc maintenant le Dieu d'Elie ? » (N. Reg. 11, l4). C'est à se demander si Elie avait un autre Dieu que celui d'Elysée. 4e Jacob était assurément très opposé au culte des « Téraphims »; cependant, la différence des croyances n'a causé aucune altercation entre le beau-père et le gendre pendant les quelque vingt ans que celui-ci passa en Mésopotamie. Laban jouissait chez lui de toute l'autorité du chef de famille, qui était très grande alors, et ne paraissait pas d'humeur à se laisser contester ce rôle par quiconque. Jacob se contentait donc d'instruire les siens et ne prenait aucune part à ce culte superstitieux. Mais il est certain qu'il s'unissait à toute la maison dans les fêtes religieuses, dans les sacrifices que l'on offrait au Dieu Très-haut et dont Laban, comme prêtre, était le ministre.

Mais Jacob, devenu chef de famille, ne pouvait plus fermer les yeux sur ce qui pouvait altérer la pureté du culte de Dieu parmi les siens. Il ne savait pas que Rachel avait subtilisé les «Téraphims » de son père; il croyait que, fidèle à ses enseignements, elle n'avait plus d'attachement à ces espèces de dieux étrangers (Gen. XXXV 2,4). Mais lorsqu'il s'aperçut que sa maison en était remplie, il ordonna à ses gens de s'en défaire et de se purifier, pour se préparer à Bethel, au sacrifice solennel qu'il allait offrir, en action de grâces pour son retour. Ses gens lui obéirent et ils lui remirent les petites idoles avec les boucles d'oreilles dont elles étaient ornées. Jacob s'empressa de les enterrer en dehors de la ville de Sichem.

Comme cela se passait après que la ville eut été dévastée, on pourrait penser que ces «idoles» faisaient partie des dépouilles que les enfants de Jacob emportèrent, mais nous en doutons. Si Rachel elle-même avait dérobé les «Téraphims» de son père, il n'est pas impossible que ses gens, assez frustes, n'en eussent apporté de Mésopotamie. D'ailleurs, lorsque les enfants de Jacob parurent consentir à donner Dina, leur sœur, au fils du roi de Sichem, ils ne proposèrent pas à la famille royale de renoncer au culte des idoles et de n'adorer que le Dieu d'Abraham, mais seulement de se soumettre, avec tout le peuple, au rite de passage de la circoncision; ce qui prouverait qu'il n'y avait rien de pernicieux dans leur croyance : «Ainsi l'on est bien fondé à croire que du temps de Jacob, les Phéniciens n'étaient pas encore tombés dans l'idolâtrie» Gen. XXX, l (Abbé Foucher). Les entretiens des anciens peuples étaient axés en grande partie sur le religieux. On voyait Dieu partout, en tout, et même dans les événements les plus naturels. Pour quelle raison les Phéniciens se seraient-ils éloignés de la religion monothéiste, alors que tout ce qu'ils avaient sous les yeux ne servait qu’à les conforter dans leur croyance ?

On ne pourrait pourtant pas assurer que leur foi ne se soit affaiblie après la mort de Jacob. En effet, les descendants de ce dernier n'avaient pas hérité de la sainteté de leurs pères et étaient plus craints par les Phéniciens qu'ils n'en étaient aimés. De plus, les Phéniciens avaient, à cette époque, commencé à nouer des relations étroites avec la Mésopotamie, et, avec l'échange des marchandises et des denrées, ils échangeaient aussi des idées, surtout religieuses. Mais loin de tomber dans l'idolâtrie polythéiste, ils dotèrent le Dieu El d'attributs qualificatifs pour chaque élément incompréhensible pour eux et pour chaque région ou cité.

Cette tendance à la prolifération des « demi-dieux » s'amplifia après la chute des Hyksos en Égypte ; le système religieux devint le même pour tous les peuples de la région à quelques nuances près.

Lorsque Joseph fut emmené en Égypte, il y trouva la religion de ses pères altérée par les Pharaons et leurs grands-prêtres, mais non pas au point de méconnaître le Dieu seul Créateur du ciel et de la terre; et on pourrait supposer que Joseph ne priait Dieu que dans son oratoire et condamnait vivement la religion égyptienne. Mais il n'est nullement vraisemblable aussi que Joseph, premier ministre de l'État, gendre du prêtre d'Héliopolis, ait rompu toute communication religieuse avec la nation qu'il gouvernait. (Gen. L). Nous en voyons une preuve dans les funérailles de Jacob, où l'on observa le rite égyptien. Cette cérémonie n'étant pas purement civile, on ne peut guère douter que le nom de Dieu n'y fût invoqué et qu'on ne lui offrit quelques sacrifices. A cette occasion mémorable, Joseph, en plus de sa famille, était accompagné des grands personnages de l'Égypte.

Par ailleurs, nous savons que le Dieu de Joseph était reconnu par Pharaon comme le suprême dispensateur de tous les événements ; lorsque Joseph fut introduit devant ce prince (ibid. XLI; 26, 25) qui cherchait un interprète de ses songes, il lui dit: « Ce sera Dieu, et non pas moi, qui rendra au roi une réponse favorable ». Et, plus loin: « Dieu (Elohim) a montré à Pharaon ce qu'il sera par la suite ».

Joseph, ayant ensuite donné au roi un conseil salutaire pour prévenir les années de stérilité, Pharaon dit à ses ministres : « Où pourrions-nous trouver un homme comme celui-ci, qui fut rempli aussi de l'Esprit de Dieu ? (ibid 36, 38).

Pharaon ajouta : « Puisque Dieu (Elohim) vous a fait voir tout ce que vous nous avez dit ... ». Si Pharaon et Joseph n'avaient pas eu le même Dieu, le Prince aurait dit à Joseph : « Puisque votre Dieu ... » et non pas, « Puisque Dieu ... ». Si la pluralité des dieux était dès lors établie, le roi d'Égypte n'aurait pas su que Joseph n'avait pas invoqué le dieu égyptien, et par conséquent, ne pouvait en avoir reçu des révélations; ce qui nous conforte dans l'idée que, le Dieu dont parle Pharaon, n'est point Osiris ni aucun autre, mais le Dieu de Joseph ou plutôt celui que tout l'univers adorait encore comme le Très-haut, le Tout ­puissant, l'Ordonnateur suprême de tous les évènements.

Cet état bipolaire où l'Égypte flottait, sans être parfaitement orthodoxe, ni totalement idolâtre, nous peint la religion de presque tout l'Orient. Nous en trouvons la preuve dans un passage du Livre de Job dans lequel il rend compte de sa conduite passée et met le péché suivant parmi ceux qui peuvent rendre l'homme coupable : « Si j'ai, dit-il, adoré le soleil dans son grand éclat, et la lune, lorsqu’elle avançait avec majesté ; si mon cœur a été alors séduit en secret, et si j'ai porté ma main à ma bouche pour la baiser; ce serait un crime capital, car j'aurais renonce au Dieu Très-haut ». (Job XXXI; 26, 27, 28).

Il résulte de ce texte qu'au temps de Job, qui correspond selon certains interprètes à celui dont nous nous occupons, il y avait en Arabie beaucoup de personnes, et même des plus distinguées, qui rejetaient le polythéisme mésopotamien et faisaient profession du maintien du culte exclusif du Dieu Très haut.

Le Dieu Adon

Enfin, une présence importante et inquiétante dans la vie religieuse phénicienne est celle des divinités qui meurent et retournent ensuite à la vie:

Melqart, Eschmoun, et le plus célèbre de tous, Adon le jeune chasseur à la beauté remarquable, tué par un sanglier et pleuré chaque année dans les rituels de deuil, au cours desquels il retournait à la vie et devenait immortel. Les morts et résurrections divines chez les Phéniciens ne semblent pas reproduire seulement, comme d'autres analogies, le modèle cyclique des renaissances saisonnières de la végétation, mais semblent plutôt liées à la divinisation des ancêtres défunts. Ce retour à la vie des divinités mortes régi, en partie au moins, par la succession fatale des rythmes cosmiques, nous apparaît ainsi moins lointain de la mort et de la résurrection de Jésus, l'homme-dieu, en qui la foi est justement née parmi les Hébreux, dans la terre voisine hébraïque.

Mais qui est au juste Adon ou Adonis comme l'appelèrent les Grecs ? Nous devons à Damascius, né en 480, le dernier des philosophes néoplatoniciens, le premier récit presque complet se rapportant à ce dieu, auquel il redonne la place qui lui revenait, la place d'honneur dans le panthéon phénicien. C'est dans son traite De primis principis, qu'il parle de la personnalité d'Adon en la rapprochant d'un autre dieu phénicien, Eschmoun. Il ne faut pas s'étonner de cette analogie car Eschmoun était considéré comme le dieu de la médecine curative, génératrice de sante et de bien-être, alors qu'Adon est le dieu qui revient à la vie.

Ce qui est surprenant, c'est que tous les archéologues qui ont fouille la terre phénicienne n'y ont trouvé aucun texte faisant référence au culte voué à ce jeune dieu. On pourrait expliquer cette carence par le fait que la croyance en ce dieu était ancrée depuis la nuit des temps dans la mémoire collective et que, chaque année, sans jamais faillir, les Phéniciens célébraient rituellement la fête des Adonies. Ce faisant, ils ne ressentaient nul besoin de la consigner dans les annales.

Par contre, les chroniqueurs phéniciens établis en Asie Mineure publièrent en langue grecque les péripéties de la vie du jeune seigneur et le culte qu'on lui vouait, à l'usage des étrangers.

Le premier des historiens phéniciens établis en Phénicie fut Sanchoniaton (IXe Siècle av. J-C.). Il parle longuement de ce jeune dieu dans ses Annales des cités phéniciennes. Ces chroniques furent reprises par Philon de Byblos, au 1er siècle ap. J-C., sous le règne de l'empereur Hadrien. Philon nous livra toute l'œuvre de Sanchoniaton, y compris ses traités sur Le monde de Tyr et le monde de Byblos. C'est Eusèbe de Césarée (265 - 340) qui nous transmit l'œuvre de Philon dans sa Préparation évangélique.

Le premier à nous avoir livré la légende d'Adonis telle que nous la connaissons aujourd'hui fut le poète Hésiode (VIIIe s. av. J-C.) dans son recueil de poèmes intitulé Les travaux et les jours. Il fut suivi par Alcée au VIIe s. av. J-C., et par la poétesse Sapho de Lesbos, au VIe s. av. J-C., dans ses Chants et Hymnes. La légende fut reprise dans une prose plus classique par Panyasis d'Halicarnasse au Ve siècle. Elle fut aussi rapportée par Hérodote presque telle quelle. Thucydide mentionna, quant à lui, un évènement qui s'était passé à Athènes lors de la célébration de la mort d'Adonis. Les descriptions les plus complètes des fêtes des Adonies, nous les devons à l'historien Xenophon (427-355) ainsi qu'au philosophe Bion d'Alexandrie de l'école cynique, natif de la ville de Borysthène, l'actuelle Izmir (IIIe s. av. J-C.). Quant au poète Théocrite de Syracuse (IVe s. av. J-C.), il en a fait une relation détaillée dans deux recueils. Un de ces recueils Les Elégies fut traduit de main de maître en vers par le poète français Charles Leconte de Lisle (1818-1894) dans ses Poèmes antiques publiés en 1852.

Dr. Hareth Boustany

 

[1] Hérodote L., II.

[2]  Hérodote L., II

[3] Josué, 2, XXIV.  

[4] Judith, V, 7 et suivants.

[5] Diodore de Sicile : L, 1.

[6] Épitre aux Hébreux.



Revenir à Articles
© La Revue Phénicienne 2017. All Rights Reserved.